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JUSTICE
Un témoin clé se rétracte

On ne peut pas dire que la semaine passée fut facile pour les parties civiles puisque jeudi, deux témoins clés n'ayant pas reconnu Bensaïd ont fait naître un doute important sur sa participation active à l'attentat de Saint-Michel. Lundi 14 octobre, la Cour a entendu les deux policiers qui ont repris l'enquête à zéro en 2000. Puis les magistrats ont entendu également un témoin clé dans ce dossier, Nasserdine Slimani. Ce dernier était le seul accusateur de Bensaïd dans le dossier Saint-Michel.


lundi 14 octobre 2002

Rachid Allaoui

Mis en ligne le : 15/10/2002

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Le Président Getti
 
"Quand vous vous regardez dans la glace, en votre âme et conscience, vous avez l'impression d'avoir coopéré avec la justice de votre pays ?"

 

Condamné en 1999 avec 20 autres prévenus pour association de malfaiteurs par le tribunal correctionnel de Paris, Slimani avait indiqué aux enquêteurs, puis au juge d'instruction que Boualem Bensaïd lui aurait confié être l'auteur de l'attentat de Saint-Michel. Il avait aussi précisé que l'accusé lui aurait dicté "la recette de fabrication d'un engin explosif" similaire à celui utilisé dans le RER. Mais voilà, ce témoin clé de trente-deux ans s'est depuis rétracté. Dans un courrier, il a nié avoir tenu les propos consignés dans le procès verbal d'audition du juge d'instruction.

Slimani revient sur ses déclarations

Nasserdine Slimani, condamné pour son appartenance au réseau lyonnais du GIA est entré dans la salle d'audience enveloppé dans un ample parka. Les deux accusés l'accueillent avec un large sourire. Bensaïd lui adresse même un petit signe de tête. Le climat dans la salle va s'alourdir peu à peu lors de la déposition de l'unique accusateur de Bensaïd. Le témoin confirme que Bensaïd lui avait bien "dicté la composition d'une charge explosive ! J'ai pris sous la dictée, c'est tout, mais je ne comprenais pas". Il ne pouvait guère faire autrement, puisque les notes prises à l'occasion de leur banale " discussion " ont été saisies par la police lors de son arrestation. Par contre, ce jeune Français de 32 ans nie que Bensaïd lui ait avoué sa participation à l'attentat de Saint-Michel.

Le 31 octobre 1995, Slimani et Bensaïd se promènent dans Paris. Les deux hommes ignorent qu'ils sont filés par la police. Depuis septembre, Slimani est placé sous étroite surveillance : son ami Khaled Kelkal, un poseur de bombes vient d'être exécuté prés de Lyon par des gendarmes. Cette surveillance permettra d'ailleurs, l'arrestation de tous les membres du groupe, y compris celle de Boualem Bensaïd. Leur petite excursion parisienne conduira les deux hommes de la gare de Lyon à la gare Saint-Lazare, en passant par Bastille, l'Hôtel de Ville, Saint-Michel, Châtelet, le Centre Pompidou et l'Opéra. Après son arrestation, Slimani sera interrogé sur cette fameuse promenade et sur ce qui s'y était dit.

Une recette de cuisine

Lors de sa garde à vue et devant le juge d'instruction, le jeune frigoriste qui a purgé une peine de huit ans de prison, s'était montré particulièrement disert assurant que Bensaïd dit " Mehdi " lui aurait ce jour-là, parlé de sa participation aux deux attentats de Paris. Lors de ces aveux, il avait d'ailleurs fourni de nombreux détails :
"Mehdi m'a dit qu'il avait participé personnellement aux deux attentats, de la station du RER à Saint-Michel et de Maison-Blanche, comme le lieu-dit où Kelkal a été assassiné", avait-il déclaré aux policiers mais également au juge: "A un moment, Mehdi a fait de l'humour. Il a parlé d'un autre homme qui portait la bombe dans un sac à dos et qui a aidé une vieille femme à traverser la route. Mehdi m'a dit : "Elle ne se doutait pas qu'il avait une bombe dans le dos !"
Slimani avait précisé également juste après la reconstitution du trajet parcouru : " Il m'a dit qu'il avait participé à au moins deux attentats, dont un s'était passé dans le métro. (...) Il m'a dit une phrase en arabe qui voulait dire qu'on était passé devant ".
Pour l'accusation, il n'y a pas de doute ce témoignage confirme que Bensaïd a été envoyé par le GIA pour coordonner la campagne d'attentats en France et qu'il a bien participé à celui du RER Saint-Michel. En outre, il apporte la preuve qu'il tentait de recruter de jeunes " beurs " comme Slimani.

Mais voilà en 2000, il envoie un courrier à Me Guillaume Barbe, l'un des avocats de Bensaïd, dans lequel il dénonce ses propos. Devant la Cour, il continuera de nier.

"Pourquoi êtes-vous là ?", lui demande le Président, Jean-Pierre Getti.
"Pour démentir certaines choses", répond Slimani.
"Il faudrait peut-être d'abord savoir de quoi on parle" note le Président.
"Je sais de quoi on parle. Que j'ai accusé Bensaïd d'avoir fait l'attentat de Saint-Michel, c'est ça?" rétorque Slimani sur un ton provocateur.
"Qu'êtes-vous venu faire à Paris", reprend M. Getti.
"Récupérer des papiers" admet Slimani. Il explique à la barre qu'il avait passé son passeport, ses cartes d'identité et de Sécurité sociale à un membre du réseau de Lyon pour aider quelqu'un à se faire soigner. C'est uniquement dans ce but qu'il aurait rencontré Bensaïd :
"Je lui ai réclamé mes papiers, mais on se comprenait pas. Il parlait algérien. J'ai rien récupéré du tout."
Le président insiste: "Pourtant, vous avez passé la journée ensemble à discuter, c'est bizarre pour des gens qui ne se comprennent pas !"
"Comme le reste du dossier" rétorque le jeune frigoriste.
Puis, le président évoque la petite note retrouvée sur lui et qui précise :
" remplir à 75 % la bonbonne avec le mélange à 75 %, réveil, pile, frotter l'ampoule sur du papier de verre pour faire un petit trou, remplir avec du sucre et du désherbant ".
"C'est Bensaïd qui m'a donné ces indications, je les ai recopiées sur un papier sans comprendre" explique-t-il.
Le président un peu ironique: "Vous voyez que vous arrivez à parler de choses intéressantes."
Slimani se reprend : "J'ai rien compris."
Le Président constate désabusé en faisant une directe allusion à l'armurier venu lui aussi témoigner: "Décidément, tous les témoins qui viennent ici sont frappés d'amnésie."
Puis le magistrat s'adresse à Bensaïd :
"Comment expliquez-vous que Slimani vienne récupérer ses papiers et reparte à Lyon avec la recette de fabrication des bombes ? Comment en êtes-vous venus à parler de bombe ?".
"Je n'ai pas le souvenir. Cette liste, même si je l'ai fait, elle était dans tous les journaux et c'était un sujet de discussion. Les bombes, c'était le sujet d'actualité en 1995. C'était comme une discussion de café, comme une recette de cuisine. Et je peux demander une recette de cuisine sans la faire à la maison" rétorque l'accusé.
" Vous ne vouliez pas plutôt convaincre Slimani de prendre le relais à Lyon du groupe décapité de Kelkal, et de foutre le bordel dans les banlieues, selon son expression?", insiste M. Getti.
"Pas du tout. Je suis religieux, ce mot n'entre pas dans mon répertoire" répond Bensaïd.
Le président de relever : "Je note votre délicatesse." Avant de s'adresser à Slimani:
"Quand vous apprenez que ces individus qui ont vos papiers sont suspectés comment le prenez-vous ? " interroge-t-il.
"Je le prends mal. Bien sûr que j'ai peur d'être impliqué. Mes papiers circulaient." Ses papiers ont été retrouvés plus tard à Lille chez Smaïn Aït Ali Belkacem et à Paris chez Bensaïd.
"Vos déclarations étaient justement le meilleur moyen de ne pas être entraîné dans ces affaires de Saint-Michel... et maintenant, vous êtes embarrassé." déduit le Président. L'accusateur de Bensaïd ne répond pas.
"Bensaïd a-t-il fait allusion à l'attentat ?" demande le magistrat.
"Bensaïd n'a jamais parlé de quoi que ce soit. Devant la police, je n'ai fait que signer (les procès-verbaux). On m'a forcé à signer mes dépositions sous une pluie de coups " précise-t-il.
"Tout ça est monté de toutes pièces. Il ne m'a jamais parlé de quoi que ce soit. Il ne s'est jamais vanté d'avoir posé la bombe. Je n'ai jamais fait de déclarations. J'ai accepté la reconstitution pour montrer ma bonne volonté. Et j'apprends plus tard que Bensaïd a été mis en examen sur la foi des déclarations de Slimani" s'insurge le témoin qui commence à montrer quelques signes d'énervement.
"Pourtant, c'est détaillé", insiste M. Getti.
"Moi, j'ai rien détaillé du tout", réplique le témoin.
"Les policiers et le juge auraient donc tout inventé ?"
"Ben, demandez-leur, vous !"
"Ça vous ennuie peut-être que je rappelle tout cela devant Boualem Bensaïd ?"
"Pas du tout", dit-il fièrement.
Le Président lui demande alors s'il a peur de parler :
" Non ! Mais j'ai pas envie de revenir en arrière", dit-il.
"Et bien moi, j'en ai besoin", rétorque le président.
Mais il décidera malgré tout de passer à autre chose :
" Que pensez-vous des attentats ? "
"Les attentats, c'est désolant, c'est des choses qui ne se font pas " déplore-t-il.
"Vous êtes donc prêt à porter concours à la justice de votre pays pour en arrêter les auteurs", insiste encore le magistrat.
" Je n'ai aucune sympathie pour personne, mais je ne crois pas en la justice car elle m'a injustement condamné. Je n'ai pas à coopérer parce que la justice, elle n'est pas là", a-t-il ajouté.
"Vous les condamnez ?" reprend le magistrat.
"Clairement."
"Quand vous vous regardez dans la glace, en votre âme et conscience, vous avez l'impression d'avoir coopéré avec la justice de votre pays ?", tente une dernière fois M. Getti.
"Je ne crois pas à la justice."
"Bien, soupire le président, la cour vous remercie."

Récemment libéré de prison, Slimani refusera de toute façon d'en dire plus :
"Je ne répondrai pas, j'ai déjà été jugé", concluera-t-il.
L'ambiance n'est pas détendue lorsque les deux policiers se présentent devant les magistrats :
Pierre-Jean Grubis, un commandant de police, produira à la barre une synthèse des éléments à charge contre Bensaïd. C'est lui qui a recueilli les aveux complets d'un ancien membre du groupe lyonnais et surtout, ceux de Smaïn Aït Ali Belkacem. Dans sa déclaration, ce dernier mettait en cause "Mehdi". Mais là aussi, l'accusé qui est dans le box nie fortement.
Puis c'est l'intervention de Florence Adam, lieutenant de la Brigade criminelle. Elle est revenue sur les livres de comptes saisis chez Bensaïd lors de son interpellation . Ces derniers témoignent de frais correspondant à l'achat du matériel nécessaire à la fabrication d'une bombe. La policière doit aussi donner son interprétation des carnets retrouvés sur lui et qui sont considérés comme des repérages. C'est elle qui a été chargée du décryptage de ces documents et notamment des notes qui seraient un repérage précis des différents lieux des attentats dont le RER Saint-Michel. Son explication est parfaite, trop même, mais là aussi les preuves concrètes manquent terriblement et ce ne sont que des suppositions. Le Président le fait d'ailleurs remarquer.
Quant à Bensaïd, il sourit : "Moi je veux une vérité vérifiable!" répète-t-il tout enjoué.
A la fin de l'audience, la Cour ne disposait donc d'aucune preuve concrète sur la participation directe de Bensaïd dans l'attentat du RER Saint-Michel. Ce jour-là, se trouvaient à Paris outre Bensaïd, Ali Touchent, Khaled Kelkal et Abdelkader Maameri.
Mardi, la cour devrait se tourner vers les victimes de l'attentat de Saint Michel du 25 juillet 1995, qui a fait huit morts et 150 blessés.

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