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JUSTICE
Le cortège de la douleur

Ce 15 octobre restera sans doute, la journée la plus chargée d'émotions. Les yeux ont versé beaucoup de larmes, ce mardi. Devant les magistrats, les victimes ont pu évoquer leur proche : un enfant, une sœur, une mère, tous disparus dans l'explosion du 25 juillet 1995. De ces êtres aimés, ils ne leur restent que peu de chose : une montre, une carte d'identité…


mercredi 16 octobre 2002

Rachid Allaoui

Mis en ligne le : 04/11/2002

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Le Président Getti
 
"C'est le grand jour, Monsieur Bensaïd, celui de la confrontation entre des accusés et des victimes. Il serait peut-être temps d'assumer vos responsabilités".

 

Certains souvenirs confient les victimes resteront inoubliables : le passage à la morgue où derrière une vitre, ils ont du reconnaître les corps. Des images dures, bien trop dures ! Le président Getti donne le ton, serait-ce le jour des remords ? Il semble encore y croire : "C'est le grand jour, Monsieur Bensaïd, celui de la confrontation entre des accusés et des victimes. Il serait peut-être temps d'assumer vos responsabilités. Les victimes sollicitent une réponse de votre part. C'est un problème entre vous et votre conscience ! ".
Les victimes se sont dirigées vers la barre en tremblant et en pleurant. Tour à tour, elles confesseront leur peur, leur douleur et leur incompréhension.

Les victimes de la rame 6 du RER

"On m'a présentée Véronique sur une table, recouverte d'un drap, le visage calme, joli. Je me disais: 'dans quel état elle doit être?' Le médecin m'a dit qu'elle n'avait pas souffert" se souvient sa maman. Puis elle se tourne vers Boualem Bensaïd: "Je porte la montre qu'elle portait ce jour-là. Véro est morte, mais sa montre continue de fonctionner. Ça fait sept ans. Il y a des gens ici qui sont amnésiques. Moi, je n'ai rien oublié. Vous avez parlé de justice et de vérité. Je voudrais connaître aussi la vérité. Ma fille, je crois qu'elle a croisé M. Bensaïd et ses amis à Châtelet. Elle s'est assise sur un siège. Dessous, il y avait une bombe. Vous avez son âge. Regardez-moi en face, je voudrais que vous me disiez aujourd'hui, pourquoi elle est morte."
Mais Bensaïd ne lui répondra pas, il préfère s'adresser au Président :
" Je comprends sa douleur mais c'est à la justice de déterminer qui est coupable ou innocent. C'est pas moi, je peux rien dire. Avec vous, on peut parler sur les procès-verbaux, mais à cette dame, j'ai pas de réponse à lui donner. Madame, je peux rien faire " répond-il.
La sœur de Véronique n'en peut plus :
"Qu'il reconnaisse ou pas, j'm'en fiche. Mettre une bombe dans un RER, c'est tuer des visages qu'on ne voit pas, alors je veux qu'il voit un visage " dit-elle en lui brandissant le portrait de sa sœur. Il ne sourcillera pas. Seul Belkacem semble mal à l'aise.
Puis, c'est un fils qui évoque le souvenir de sa mère. Consciente tout le temps précise-t-il, pendant son agonie, elle a reçu 23 litres de sang, en vain.
"Ma mère était très coquette. Elle a été atrocement mutilée. Elle a perdu ses jambes, elle a été brûlée sur tout le corps, elle avait un trou dans le dos. Elle est morte le lendemain, à 13 h 30". Il ne supporte pas la comparaison des accusés entre "la Résistance française et leur lutte armée, c'est à la limite de l'injure. Monsieur Bensaïd, monsieur Belkacem, il n'y a pas de gloire, ni d'honneur à mettre une bombe et à se sauver en courant avant qu'elle n'explose."
Pierre-Henri était jeune, plein de vie. Il ne connaîtra jamais sa seconde petite fille ; il a été enterré le jour de sa naissance. Pierre-Henri est décédé des suites de ses blessures et après des mois d'intenses souffrances raconte son père Roland Froment.
"Pierre-Henri est né en 1960. Il a vécu quatre mois de souffrance entre le 25 juillet et le 21 novembre où il est décédé. Il était polytraumatisé, blasté, brûlé sur toute une partie du corps. On l'a greffé. Il a regagné son foyer fin août et, brusquement, son état s'est aggravé. Des séquelles neurologiques ont entraîné une paralysie des membres inférieurs. Il a été transféré à Garches. Il se battait tous les jours. Puis, il a eu une méningite foudroyante, son coma a duré huit jours. Sa deuxième petite fille, Elisabeth, est née le jour de ses obsèques. Même si vous récusez la justice des hommes, puisque vous êtes croyants, vous savez qu'il y a un Jugement dernier, une justice divine. Pensez-vous que, ce jour-là, on puisse se présenter devant Dieu avec sur les mains, le sang des victimes innocentes ?" demande cet homme de 73 ans à Ben Saïd et à Belkacem qui ne lui répondront pas.
" Avant de tomber dans le coma, il a trouvé la force de dire: aimez Dominique, aimez Clara, aimez mon bébé, aimez-vous. Papa, je te confie mes enfants", confie-t-il en sanglotant. Un mariage posthume avec Dominique, sa compagne, a été organisé par la suite.
Un autre père s'avance à la barre, il a beaucoup de difficultés à s'exprimer. D'une voix étranglée par les sanglots, il parle de son fils qui " avait à peine commencé sa vie ". Alex avait 16 ans. "Ils ont dit avoir été torturés par la police. Moi, depuis le 25 juillet 1995, c'est jour et nuit que je suis torturé" ajoute-t-il la voix couverte par les sanglots.
"Vous êtes des êtres ignorants. Je suis musulman et je ne comprends pas. Dans le Coran, on ne parle pas de tuer ou de faire une boucherie. Pour moi, vous n'êtes pas de vrais musulmans. J'espère que M. Bensaïd sera hanté toute sa vie par la photo de ma fille" ajoute un père dont la jeune fille est décédée. Les deux accusés, Boualem Bensaïd et Smaïn Aït Ali Belkacem, le foudroient du regard. A chaque attentat qui survient dans le monde, la souffrance revient expliquera ce père de famille avant de laisser la parole à son autre fille : "Sandrine avait 24 ans. Elle n'a jamais fait de mal à personne. Elle faisait des études de stylisme. Elle achetait des plumes pour faire des costumes pendant que d'autres achetaient de la poudre noire. Il a fallu qu'elle rencontre ces personnes qui se disent combattants, combattants de je ne sais pas quoi."
En fin de matinée, le Président Getti très ému, interroge Boualem Bensaïd :
"- M. Bensaïd, vous avez entendu la souffrance s'exprimer. Ces attentats ont été revendiqués par le GIA. Les victimes veulent une réponse. Pourquoi tous ces morts, pour quelle cause ? Au nom de quoi ? Vous êtes membre du GIA ? " "­ Je dis que je suis musulman. Je ne suis pas en mesure de répondre. Vous me faites subir de la pression par la parole" s'impatiente l'accusé.
"Je vous demande de vous comporter comme un homme et d'assumer vos responsabilités." reprend le Président.
Pourquoi? Je ne suis pas un homme ?"
" - Est-ce qu'aujourd'hui, vous cautionnez, approuvez les actes qui ont été commis ?"
" - Les attentats, vous voulez dire, comment pouvez-vous concevoir cette question ?" répond-il en secouant la tête.
"- Taisez-vous et asseyez-vous, je ne veux plus vous écouter !" lui ordonne alors Jean-Pierre Getti.

Les blessures des rescapés

L'après-midi, ce sont les rescapés de l'attentat qui prennent la parole. Ils racontent le hasard qui a fait que ce jour-là précisément, ils sont montés dans la rame du RER : un retour de travail ou de promenade, une visite à des parents…
Tous se souviennent de ce "bruit assourdissant", "de la fumée âcre", de "la panique" du " sang " répandu partout sur le sol. D'autres parlent de tous ces " membres arrachés ", des " blessés déchiquetés" qui attendaient les secours et les " cris de douleur ".
Certains évoquent les séquelles physiques plus ou moins graves, les troubles de mémoire, les problèmes au travail, les troubles psychologiques, les angoisses, les insomnies, la peur panique de reprendre le métro, les sautes d'humeur qui finissent peu à peu par éloigner "les autres"
"J'avais une vie plutôt jolie", se souvient Caroline. "Je n'ai pas été blessée physiquement, mais j'éprouvais un mal-être, des sentiments étranges de haine. Je suis devenue agressive, irascible. Je ne comprenais pas pourquoi j'avais si mal. Puis, un jour, j'ai compris qu'il ne faut pas seulement avoir saigné pour être blessé".
Mais beaucoup s'en veulent aussi d'avoir " eu de la chance ", d'être restés en vie.
Une jeune femme blessée dans l'attentat s'avance : elle croit reconnaître en Bensaïd, ce " regard ", celui de l'homme qu'elle a croisé juste avant l'explosion. " Ce regard me hante depuis ce moment, je ne l'ai jamais oublié. Ce regard m'a chassé, comme si je gênais, je suis allé m'asseoir ailleurs. J'ai la mémoire de ce regard et d'une partie du visage de l'homme..." raconte-t-elle.
" Ce regard, vous l'avez retrouvé?" interroge doucement le président.
" C'était un regard noir, qui m'a fait très peur. " répond-elle.
"Lequel?"
"Celui de M. Bensaïd. Ce regard très foncé et la manière dont..." murmure-t-elle en tremblant de tout son corps.
L'accusé se lève et l'interrompt: "C'est un regard semblable ou c'est le mien? Regardez-moi, s'il vous plaît dans les yeux" ordonne-t-il à la victime qui fond en larmes. La salle est indignée.
"Le regard qui a frappé madame est-il le vôtre ?" demande le Président.
Bensaïd dément : "Non, je n'ai jamais été dans ce wagon, c'est pas mon regard, j'ai jamais vu madame. Il faut que l'émotion laisse place au juridique, sinon on ne pourra pas faire avancer le dossier" déclare-t-il d'une façon catégorique.
L'avocat général Gino Necchi est outré et sort de sa réserve :
"M. Bensaïd ne donnez pas de leçons".
"M. Bensaïd en parlant de la sorte vous révélez votre personnalité, c'est pour cela que je vous donne la parole, ça intéresse la Cour", précise le Président.
Interrogée sur son état de santé, la frêle jeune femme précise qu'elle est toujours très choquée et qu'elle souffre d'un traumatisme psychologique qui nécessite un suivi psychiatrique.

POURQUOI VOUS AVEZ FAIT CELA?

"Je me suis souvent posé la question... Pourquoi ? Pourquoi on nous a fait ça ? On est innocents, on n'a rien fait. A présent, je vis dans la peur", déclare une femme restée hospitalisée pendant un an et dont la jambe reste profondément mutilée. Une autre jeune fille raconte qu'elle est prise de crises de panique incontrôlables lorsqu'elle tente de prendre le métro. Elle se trouvait sur le quai ce jour-là et elle se souvient avoir été projetée contre le mur de la station par le souffle de l'explosion. "Je ne me souviens de rien ensuite, c'est un trou noir. Je me rappelle seulement m'être réveillée à l'hôpital. Aujourd'hui, j'ai un sentiment de doute permanent sur ce qui va se passer. Le corps a imprimé quelque chose. Il y a des moments où, sans raison apparente, il y a une panique qui monte", confie-t-elle à la Cour.
"Pourquoi vous avez fait ça ?", lui demande une autre victime.
"Vous voulez qu'on vous regarde en face et depuis tout à l'heure vous dormez, vous n'avez même pas la qualité de nous écouter. Vous n'avez même pas une larme".
"Je n'ai rien fait", rétorque Bensaïd.
Puis elle désigne le public présent, les avocats et les journalistes parmi qui l'émotion est palpable: " Ces gens-là n'ont rien fait non plus et pourtant, ils ont les larmes aux yeux".

Face à toutes ces douleurs, Bensaïd restera de marbre, s'offrant même le luxe d'être agressif. Seul Ali Belkacem ne parviendra pas à maîtriser ses larmes. Mais il n'y a eu ni dialogue, ni pardon. Bensaïd le sait, après la rétractation de Slimani, l'accusation ne dispose d'aucune preuve de sa participation directe dans l'attentat de Saint-Michel. Seule son implication dans sa préparation reste néanmoins avérée. Mercredi, le tribunal entendra d'autres victimes.

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