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JUSTICE
Ali TOUCHENT : un agent double ?

L'opacité qui entoure le dossier d'Ali Touchent laisse la porte ouverte à toutes les supputations. Ainsi une rumeur persistante bien que jamais étayée par des pièces de justice, voudrait que Tarek ait été un "agent double ou triple" travaillant à la fois pour les rebelles islamistes du GIA, les services secrets algériens et qui aurait été ensuite récupéré par les services du contre-espionnage français.


Lundi 7 octobre 2002.

Manuel Sanchez

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"X, dit Nacer, dit Tarek, alors qu'en 1993, dans sa chambre au foyer Sonacotra, on a découvert l'original de sa pièce d'identité. Qu'est-il donc advenu des documents d'identité saisis en 1993 ?" demande l'avocat.

 

La défense reste déterminée à éclaircir certains points sombres du dossier concernant Ali Touchent, supposé avoir été envoyé en Europe par le chef du GIA, Djamel Zitouni pour coordonner la vague d'attentats. C'est lui qui aurait recruté Khaled Kelkal. C'est encore lui qui aurait favorisé, l'arrivée en France de Boualem Ben Saïd et d'Ali Belkacem au printemps 1995. Les deux accusés présents dans le box ont d'ailleurs reconnu avoir travaillé sous ses ordres.

Leurs avocats vont alors poser à Roger Marion, l'ex patron de la brigade anti-terroriste, deux questions bien précises : pourquoi la police n'a pas été capable d'identifier Ali Touchent alors que la DST disposait de son identité et de sa photo dès 1993 et comment se fait-il qu'il ait pu échapper miraculeusement à toutes les arrestations successives de la police?

Le dossier judiciaire laisse apparaître effectivement, qu'Ali Touchent a pu échapper à plusieurs coups de filet, en France notamment, en novembre 1993 et en Belgique durant l'été 1995. Finalement, lorsque le réseau est interpellé à Paris, Ali Touchent une fois de plus n'est pas appréhendé.
En outre, bien que fiché par la DST, son nom n'apparaît que tardivement dans la procédure, seulement en novembre 1995. A cette époque, une photographie prise lors d'une surveillance - le montrant dans une cabine téléphonique - est alors versée au dossier par les renseignements généraux mais sans aucune autre information.
Pourtant, son identité était bien connue des services puisqu'il fut le premier de la bande à avoir été identifié. Dès 1993, lors d'une opération policière dans un foyer Sonacotra de la banlieue lyonnaise, des documents à son nom sont saisis.

Mais voilà, Roger Marion n'aime pas beaucoup s'expliquer. Entendu comme témoin, le mardi 2 octobre, il n'a pas souhaité répondre aux questions des avocats : "Je n'assume la responsabilité que des actes de procédure que j'ai signés" déclare-t-il à la barre. C'est tout juste s'il se souvient de ce " Tarek " que pourtant il avait qualifié sur un procès verbal comme étant le "responsable de la vague d'attentats de 1995".

Il reconnaît que le 9 novembre 1993, lors d'une vaste opération de police lancée dans les milieux islamistes, "un nommé Ali Touchent basé au foyer Sonacotra de L'Haÿ-les-Roses avait échappé aux recherches, (il était) déjà parti à l'étranger".
L'avocat va s'engouffrer dans la brèche ouverte :
Comment Ali Touchent a-t-il pu échapper ainsi par trois fois à la police, en novembre 1993 à L'Haÿ-les-Roses, à Bruxelles en mars 1995 et à Paris en novembre 1995 ?
"Echappé, échappé... quand une personne n'est pas à son domicile, elle ne s'est pas forcément échappée, elle est absente" répond le policier.
Pendant plus de deux heures, Maître Dietsch, l'avocat de Ben Saïd ne va pas le lâcher.
Il feint de s'étonner que les photos insérées dans l'album des suspects en 1995 ne comportent pas son identité mais une simple annotation :
"X, dit Nacer, dit Tarek, alors qu'en 1993, dans sa chambre au foyer Sonacotra, on a découvert l'original de sa pièce d'identité. Qu'est-il donc advenu des documents d'identité saisis en 1993 ?" demande l'avocat.

Roger Marion ne se rappelle plus, il le renvoie à ceux qui sont à "l'origine de la photo", c'est-à-dire aux renseignements généraux. Il ne sait plus non plus, à quel moment, ni par qui "Tarek" a été identifié. Il précise que ce dossier relevait de la DST (le service du contre-espionnage français). "A quelle date identifiez-vous Touchent par rapport aux arrestations de Bensaïd et consorts ?" demande encore l'avocat.
"Nous sommes en 2002. Je ne m'en souviens plus. Depuis trois ans, j'ai des responsabilités supérieures. Nous, on a arrêté les auteurs. Vous, vous ne parlez que des morts", ironise-t-il.
L'homme s'énerve, son ton devient cassant. Puis il refuse de répondre prétextant qu'il ne comprend pas " l'intérêt de la question".
Le Président s'énerve et le coupe : "Ce n'est pas vous qui en appréciez l'intérêt".
Pris de court, il préfère alors se défausser sur les autres services : "Demandez à la DST", "interrogez les responsables de la brigade criminelle" rétorque-t-il précisant qu'il ne savait rien.
Me Van Der Meulen, défenseur de Belkacem, s'interroge : le nom d'Ali Touchent n'aurait donc jamais été cité dans les réunions entre services au ministère de l'Intérieur ?
Roger Marion se bute de plus en plus et préfère s'enfermer dans un mutisme total. Le Président est visiblement irrité :
"Mais vous nous avez expliqué qu'il y avait des réunions de coordination entre les différents services de police !" s'énerve M.Getti.
Mais Roger Marion coupe court :
"Je ne suis pas là pour dévoiler la confidentialité des réunions qui se tiennent au ministère de l'intérieur !"
M.Van Der Meulen lui demande alors le nom du patron de la DST en 1993 et 1995. Roger Marion le botte en touche :
"J'ai pas l'annuaire des préfets sur moi."
L'ambiance devient de plus en plus électrique et le magistrat s'énerve :
"Vous faites preuve de légèreté dans vos réponses. Si des questions semblent saugrenues ou dérangeantes, c'est le jeu de l'institution. Vous êtes tenu d'y répondre tant que je n'y mets pas le holà !".

Devant l'amnésie de Roger Marion, les avocats des deux accusés demande à la cour l'audition d'un ex-patron des services de renseignement français.
"M. Marion est dans l'impossibilité de répondre aux questions que vous lui posez et que nous nous posons. Je demande à entendre Philippe Parant à votre barre", a dit Me Van der Meulen. Philippe Parant est l'ancien patron de la DST, la Direction de la surveillance du territoire, qui à ce titre a participé à l'enquête sur les attentats de 1995.
Lors de la suspension d'audience, Maître Philippe Van Der Meulen justifiait l'audition de Philippe Parant " A travers le dossier, il y a des éléments qui permettent de penser plus que sérieusement que Ali Touchent était très bien informé. nous voulons savoir pourquoi et comment et nous voulons savoir ce que les responsables policiers savent ! Dès lors qu'un haut responsable refusent de répondre, alors, nous devons nous adresser à un autre responsable! "

En attendant, la Cour a consigné Roger Marion dans la salle des témoins pendant deux jours pour pouvoir éventuellement l'entendre de nouveau.

Un autre ex-policier de la DNAT, Gérard Masson, interrogé jeudi à la barre, a jugé "impensable" que soit fondée la rumeur, selon laquelle Ali Touchent était un agent double ou triple, travaillant à la fois pour le GIA, les services secrets français et algériens. "Je n'ai aucun élément personnel qui permette de confirmer qu'Ali Touchent est une taupe. Aucun service de renseignement n'aurait pu laisser continuer les attentats sachant qu'ils connaissaient une personne qui était à l'intérieur du réseau, c'est impensable" déclare-t-il à la barre.
Il préfère quant à lui relativiser le rôle de Tarek qui n'aurait été qu'un " organisateur " parmi d'autres ;
Cependant cette version semble être fortement contredite par le dossier judiciaire :
il apparaît qu'Ali Touchent ait recruté tous les activistes du groupe. Le chef suprême du GIA en Algérie, Djamel Zitouni, semblait le tenir pour un personnage important. En effet, en 1995, pensant qu'Ali Touchent avait été arrêté, il avait publié un communiqué qui figure dans le dossier et dans lequel il exigeait sa libération, menaçant même Bruxelles de représailles.
Au sujet des tentatives d'arrestations successives toujours manquées de Tarek, le policier répond : "Le travail de la police, c'est 90% de transpiration, 5% d'inspiration et 5% de chance. La chance d'Ali Touchent était peut-être un peu plus grande que la nôtre".
Il a cependant reconnu que tous les renseignements sur cet homme venaient de la DST, qui n'en aurait guère parlé en 1995 lors des réunions de coordination entre les services de police.
Prié de s'expliquer sur la façon dont les services coopéraient, Gérard Masson a répondu: "En dehors des rapports personnels, nous ne nous parlions pas beaucoup".
Vendredi 4 octobre, Roger Marion a été de nouveau entendu par la Cour. Cette fois, il s'est montré plus aimable et plus coopératif. Sans doute, l'actuel numéro deux de la police judiciaire a-t-il profité de ces deux jours, pour faire vérifier par ses services un certain nombre d'informations sur lesquelles il avait eu de gros trous de mémoire.
Avec le Président Getti, ils sont revenus calmement sur " Tarek ". Bien que Me Van der Meulen, conseil d'Ali Belkacem ait admis "que la lutte contre le terrorisme ne se fait pas toujours avec des gants blancs", le magistrat ne paraît pas très à son aise pour évoquer ce sujet délicat. Il faut bien admettre que l'on ne peut s'empêcher de se demander où tout cela va bien pouvoir nous mener car si la thèse selon laquelle Ali Touchent est une taupe est exacte, il semble bien improbable qu'un haut fonctionnaire de police ou qu'un membre de la DST, ou des RG viennent à la barre la conforter ou l'affirmer. Dans ce domaine, il semble bien que la loi du silence règne en maître.
Jean-Pierre Getty le sait et il y va sans grand empressement, avec des pincettes en évitant de prononcer les mots qui sont sur toutes les lèvres. Il préfère prendre des chemins détournés : "Y a-t-il eu rétention d'information, par un service ou un autre, sur ce "Tarek"?", demande-t-il à Roger Marion.
" C'est possible, lâche-t-il, avant de se reprendre. Soyons clairs, il a été dit dans la presse que "Tarek" était un personnage infiltré. Nous, on n'a jamais eu la preuve, ni même le début d'une preuve de cela."
En ce qui concerne les photos transmises tardivement, le policier souligne que "dans ces périodes de crise, où tout va très vite, les enquêteurs peuvent passer à côté d'une identification", tout en admettant que peut-être les informations existantes relatives à "Tarek" "n'aient été portée que tardivement à la connaissance des services de police".
Le Président refusera d'aller plus loin et annonce qu'il ne fera pas citer à la barre, comme le lui avait réclamé les avocats de la défense, le responsable de la DST estimant que son audition n'était pas utile et souhaitant que l'on recadre les débats sur les deux hommes présents dans le box : "Je rappelle que l'objet des débats est de déterminer l'implication de deux accusés dans les faits qui leur sont reprochés. On tourne autour d'Ali Touchent, mais il n'est pas dans le box. Je souhaiterais qu'on recadre les questions" a-t-il précisé.

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