Fidès





………… 
………… 
………… 
………… 

             Courrier    Forums    Service    Newsletter   
Procès
UNE VIE NORMALE
Les personnalités des cinq accusés ont été largement examinées mardi après-midi par la Cour d'assises d'Evry. Pour le tribunal, il s'agit également de comprendre l'environnement de ces cinq jeunes assis dans le box, un environnement de violence et de haine dans lequel ils baignent quotidiennement


Mardi 2 décembre 2003

Samia Achour

• Imprimer l'article
• Envoyer l'article


"J'ai honte. Je regrette d'avoir tué votre enfant qui était sûrement très sympa. C'était lâche de ma part!".
Aurélien Legrain lors de son procès - Mardi 2 décembre 2003

  Dans la mort de Romuald, abattu, il y a maintenant trois ans, par une décharge de chevrotine, les jurés vont devoir tenter de comprendre les raisons d'une haine qui hante deux quartiers de l'Essonne, celui des Epinettes et celui de Courcouronnes. Ils vont devoir appréhender également, le phénomène des groupes ou des bandes qui gouvernent trop souvent les cités.

Mardi après-midi, le président Dominique Coujard essaye de faire le point sur la responsabilité respective des cinq jeunes présents dans le box. Il interroge Sofien Hassnaoui, 24 ans, le conducteur de la voiture pour savoir qui dans la bande a décidé de mener l'expédition punitive :
"Tout le monde se suit", explique le jeune homme.
"Si tout le monde se suit et que personne n'est le chef, tout le monde est responsable ? " rétorque le président. "Ben, quand on est quatre ou cinq, en fait, ça veut dire un cerveau pour cinq." répond Sofien.
L'avocate générale, Hélène Cazaux-Charles le questionne sur la vie quotidienne des jeunes des quartiers :
"Comment se passait une journée à Evry ?" demande-t-elle.
"Celui qui travaille pas et va plus à l'école, il se lève vers 14 heures. Il descend se poser sur un banc. Tout le monde se retrouve là. Ça discute : les rumeurs, les histoires ou le film d'hier soir, c'est-à-dire ce qui s'est passé la veille, les nouvelles des quartiers. Vers 4 ou 5 heures, on décide de monter à Paris ou plus souvent d'aller au centre commercial d'Evry. Là-bas, on achète une marque, un survêtement ou des baskets, on drague…C'est le lieu des rencontres. Vers 17 heures, tout le monde est là à traîner, toutes les cités. Il y a des risques, mais on ne peut pas partir… Les histoires, c'est là qu'elles naissent. Vers 20 heures, on rentre grignoter, puis ceux dont les parents ne disent plus rien ressortent. Si un gars claque la porte chez lui, c'est pas sa mère ou son père qui vont descendre le chercher, avec tous les autres… En bas, ça discute, ça discute, ça discute… Là, il n'y a plus d'heure..." raconte-t-il.
" C'est là qu'on se raconte les histoires… " poursuit-il " Les engreneurs commencent… "
" Les engreneurs ? " interroge le magistrat.
"Il y en a cinq ou six par cité. Ils voient quelqu'un de l'autre cité, ils vont chercher. Un coup, une insulte. Voilà, c'est l'engrenage qui commence." explique Sofien avant d'ajouter qu'avant le drame, il avait une " vie normale ", une conception qui fait bondir l'avocate générale Hélène Cazaux-Charles :
"Normale, mais émaillée d'embrouilles dans le quartier, non?".
"J'habite les Aunettes", souligne-t-il. "C'est pas simple. A tout moment, il peut vous arriver une histoire. Des gens viennent et sautent sur vous… A Evry, c'est comme cela que ça se passe".

Puis, c'est au tour d'Aurélien Legrain d'être entendu. Ce dernier a reconnu avoir tiré sur Romuald. Dans le box, il se défend d'être un " engreneur ". Dans le quartier, tout le monde l'appelle " le justicier ", un surnom qui est loin de lui déplaire.

De petite taille, c'est un éternel agité : "Je ne manque pas de vitamines" reconnaît-il. Pour son frère aîné, Aurélien a un besoin énorme de reconnaissance et "Pour lui, qui dit force, dit respect". Ce que l'accusé reconnaît, il estime en effet que "si on est gentil par caractère, tout le monde vous marche dessus. Il faut une carapace".

Pour ceux qui le connaissent, ce jeune homme de 22 ans est gentil, travailleur et sensible. Mais Aurélien n'a pas eu beaucoup de chance dans sa courte vie. Un père qui abandonne le foyer juste avant sa naissance, une blessure, un manque, une absence qu'il ne pourra jamais compenser. Une mère qui refait sa vie avec un homme qui ne veut pas de lui, qui ne l'aime pas beaucoup. Une deuxième blessure, un deuxième abandon : Aurélien placé en internat, grandit tout seul, comme il peut. Son caractère change, il devient " impulsif ". Il admet ne pas " être un fan des études ", tente bien d'obtenir un CAP de menuisier mais des études pas très réjouissantes et qu'il devra laisser tomber : son épaule ayant été abîmée lors " d'une altercation avec d'autres jeunes ".

Un portrait double, un visage double : un homme costaud au sourire d'enfant blessé. Un garçon " doux et serviable " mais qui selon les témoins peut se transformer à l'occasion, en un homme violent, brutal et bagarreur. "Ça commence au collège ! " explique-t-il. "On veut s'affirmer. C'est l'âge, quoi ! Montrer qu'on n'a pas peur de se battre. Pour avoir des copains, se faire un peu respecter. Après, on grandit avec cette étiquette et c'est pas facile de faire marche arrière."
Aminata sa petite amie explique : "Avec moi, il était très gentil. Avec ses copains, c'était un autre… Toujours à prouver qu'il n'était pas une tapette".

A la barre, la mère de l'accusé, parle de cette violence à laquelle, elle semble s'être résignée. Elle rappelle à la Cour que le jour de l'anniversaire de la mort de Romuald, un autre de ses fils "Nicolas, le petit frère d'Aurélien, a été agressé. Trois coups de couteau. C'est comme ça, c'est tout !" conclut-elle, l'air désabusé.

Aurélien Legrain hoche la tête, victime lui aussi de " la haine " . Comme tant d'autres, il aurait pu y laisser sa vie. Six mois avant de tuer Romuald, il reste trois semaines en réanimation après avoir reçu une balle perdue qui l'a atteinte au poumon.

Le président de la cour d'assises l'interroge sur l'origine de cette haine : "C'est une histoire d'adultes. L'origine, c'est des embrouilles de parents, puis les enfants s'en sont mêlés. Une histoire de poisson" raconte-t-il.
"C'est Astérix! Surréaliste!" s'indigne le président Coujard. "C'était du poisson avarié?" relève-t-il ironique.
"J'sais pas. Tout ce que je sais c'est que maintenant les deux familles à l'origine de tout cela se côtoient mais les jeunes, eux, continuent. C'est absurde !" répond l'accusé.
" Mais vous comprenez, la bande, le groupe, c'est important dans une cité ! " reprend-il.
"En justice, c'est une circonstance aggravante, mais pour vous, cela semble diluer toute responsabilité personnelle", relève Dominique Coujard. "Quand on stagne dans le quartier. C'est là qu'on se calcule. Quelqu'un est mal levé, un regard, c'est parti. Même si vous êtes pas d'accord avec lui, personne n'a le courage de dire : tu cherches la merde ! On se met avec lui, parce qu'il est de la cité."

Aucune émotion ne transpire lorsque Aurélien évoque cette violence quotidienne qui semble faire partie intégrante de sa vie sauf au moment où il décide de s'adresser aux parents de Romuald pour leur demander maladroitement, pardon : "J'ai honte. Je regrette d'avoir tué votre enfant qui était sûrement très sympa. C'était lâche de ma part!" s'excuse-t-il en cherchant leurs regards.

Quatre des accusés dont Aurélien Legrain encourent la réclusion criminelle à perpétuité. Fabrice Adénor qui n'a pas participé à l'opération " commando " risque trois ans de prison pour " recel d'arme ".

Le procès doit durer jusqu'au 10 décembre prochain. Jusqu'à cette date, le tribunal ainsi que les deux quartiers rivaux seront placés sous haute surveillance policière.

| Enquête sur le terrain auprès de ces jeunes d'Evry et de Courcouronnes.   | A la rencontre de Wahid, un Président d'une association de quartier dans les Epinettes.   | Ahmed Président d'une association de Courcouronnes - 29 ans.   |

      Haut de page     
(0892 680 631) 0.34 euros par minute Code Contact "8556"
|Nous contacter|Copyright |©Fidès| Association loi de 1901 et
Hébergée par I France

   Sur le même sujet :
Le procès de la haine

Cordon de police autour du tribunal

Le poisson et la haine

Genèse de la haine

Trois ans après


   FORUMS
Participez aux forums: