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Vendredi 22 novembre 2002
Manuel Sanchez
Mis en ligne le :
26/11/2002
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En novembre 2000,
peu de temps avant les fêtes, Micheline Beuzit, responsable de l'association recherche des commis de salle.
Elle contacte l'ANPE et précise le profil recherché, des jeunes même débutants âgés de "18 à 22 ans" pour
travailler de 17 heures à 2 heures du matin.
Le conseiller de la mission locale pense alors à un jeune homme, Abdoulaye Marega qui correspond aux critères et qui en outre,
bénéficie d'une bonne expérience dans la restauration. Il téléphone donc à la responsable et le rendez-vous est pris. Juste avant
de raccrocher, il précise que son candidat est Sénégalais. La réponse de Madame Beuzit est alors très claire :
" On prend éventuellement des Européens, mais pas de gens de couleur en salle, seulement en cuisine". Fortement choqué,
cet employé contacte SOS RACISME.
La teneur des propos sera confirmée lors d'une opération de testing faite avec un jeune Antillais, organisée et enregistrée
par SOS RACISME. A des inspecteurs du travail, la secrétaire avait également déclaré : "Le Moulin Rouge ne prend pas de Noirs
en salle, seulement en cuisine".
Lors de l'audience, le substitut du procureur, Catherine Champrenault tentera de savoir qui "un jour" a décidé des "critères"
d'embauche du cabaret et imposé certains "usages" confirmés par des membres du personnel.
L'enquête de police a d'ailleurs démontré que l'établissement n'avait embauché en salle aucune personne colorée depuis au moins
quarante ans. Par contre, ils sont nombreux en cuisine.
André Poussimor, le directeur de l'association tente de convaincre que le recrutement se fait uniquement sur la "bonne tenue".
Les candidats doivent être motivés et propres. "Des petits gars, il en voient tous les jours pour du travail. Moi, je ne m'occupe
pas du recrutement, je ne vois jamais personne." déclare-t-il au tribunal.
Me Dominique Tricaud l'avocat de SOS racisme et du jeune Sénégalais fait mine de s'étonner
"qu'il n'y ait jamais eu aucun serveur de couleur dans le restaurant".
"Personne ne s'est présenté", répond le directeur.
"100 % de personnes de peau blanche en salle, 100 % de couleur pour la plonge, ce n'est pas seulement du racisme,
il y a de l'apartheid" reprend l'avocat.
"Les gars de couleur, ils ont le droit de manger comme nous. Qu'ils soient blancs, jaunes ou rouges, je m'en fiche",
rétorque M. Poussimour. "Je ne m'oppose pas à la couleur, bien au contraire. Du racisme, je n'en ai jamais fait, je ne suis pas raciste."
Le ministère public le reprend :
"Pas raciste, ça se voit dans les actes. Ces mots, les plus grands racistes les ont prononcés. Il faut remuer
vos consciences, Mme Beuzit, M. Poussimour ! (...) Je crois qu'il faut que la jeunesse qui vit dans notre pays
soit convaincue que la France va punir ce type d'agissements. Le Moulin-Rouge, ça évoque tellement de films, de peintures...
C'est dommage", conclut-elle avant de réclamer des sanctions exemplaires : une amende de 45 000 euros contre l'association,
deux mois d'emprisonnement avec sursis et 3 000 euros d'amende pour la secrétaire.
Vendredi 22 novembre, le tribunal a rendu sa décision :
10 000 euros d'amende pour l'association du "Moulin Rouge", 3000 euros pour la sécrétaire.
Ils devront également s'acquitter des frais de procédure.
Abdoulaye Marega obtient 4.500 euros de dommages-intérêts et SOS RACISME, partie civile 2.300 euros.
Le jugement devra être publié dans les deux quotidiens : le Monde et Libération.
A l'issue de l'audience, Abdoulaye Marega est visiblement satisfait :
«Je suis vraiment très, très content. Ceux qui disent que la France est un pays raciste ont tort. La France est un pays
des libertés, des qualités»
Même son de cloche pour son avocat :
«Mon pays n'est pas que le pays des jambes en l'air et du French cancan, c'est le pays des droits de l'Homme», déclare-t-il
avant de relever que cette condamnation est largement supérieure à celles habituellement prononcées dans des dossiers similaires.
«Il y a un zéro de plus derrière les sommes», s'est-il félicité.
C'est effectivement très rassurant que l'un des symboles français soit ainsi condamné. Cependant, le combat est loin d'être
terminé. La discrimination à l'embauche n'est que l'arbre qui cache la forêt car le mal est plus profond qu'on ne le dit.
Seul le silence des victimes permet de le dissimuler.
Mais pour le moment, ne boudons pas notre plaisir! Reste à savoir si demain, "Au Moulin Rouge" les "gens de couleur"
sortiront de la cuisine pour servir dans la vaste salle.
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