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Mardi 11 juin 2002.
Martine Coriste
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Fidès : A part, les problèmes de sécurité,
quels sont les sujets qui préoccupent les habitants des cités
que vous avez rencontrés?
Martine Coriste : Avant de commencer, je voulais juste préciser quelques points.
En premier lieu, ces témoignages recueillis auprès dune
population âgée de dix-huit à trente-cinq ans, résidant
dans des zones dites sensibles et nullement impliquée dans de
quelconques actes de violence, ne constituent pas un sondage.
En second lieu, je dois signaler que je me suis heurtée, pendant toute
cette enquête, à une loi du silence très
inquiétante qui comme vous pourrez le constater, ne concerne
pas uniquement les habitants de ces quartiers. Ces points étant
précisés, lanalyse des témoignages montre
très nettement que les jeunes des cités ne perçoivent
nullement notre société comme égalitaire et juste.
Ils trouvent que leurs quartiers sont enclavés, trop isolés
des villes. Ils y voient dailleurs, la raison principale du repli
identitaire et communautaire qui existe actuellement. Pauvreté
et origine des familles, dureté et violence du quotidien, faible
chance de promotion sociale, constituent leurs préoccupations
majeures.
Une
sorte de mise à lindex?
Tout à fait. Ils font le constat suivant : pauvreté, ségrégation
raciale et cité. Ce sont des arguments qui reviennent très
souvent : sentiment dinjustice, disparité quant à
lenvironnement, au logement et inégalité des chances.
Ce sentiment reflète-t-il la réalité?
En ce qui concerne lisolement des cités, et sa composition
sociologique, je crois que cest un fait vérifiable par
tous. Quant au problème de linégalité, et
pour me limiter uniquement à lemploi, jai pu constater
que parmi les jeunes interrogés, certains étaient diplômés
et pour autant, ne parvenaient pas à trouver du travail ou alors,
y accédaient mais dans des professions qui ne correspondaient
pas du tout à leur qualification. Vous savez, il faut être
très courageux pour aller travailler chez Mac Donald avec un
bac plus quatre en poche. Je ne pense pas que ce quils ressentent
soit une simple vue de lesprit. Il y a parmi eux, nombres de jeunes
au chômage ou sans emploi mais pour autant, ils ne le choisissent
pas. Je pense que le marché de lemploi souvre plus
difficilement pour eux.
Comment expliquent-ils cette discrimination?
Ils pensent que les français font beaucoup trop damalgames
notamment entre les cités, linsécurité et
les enfants dorigine immigrée. Ils traînent derrière
eux, une étiquette qui leur colle un peu trop à la peau.
Quelques uns parviennent à sen sortir mais il faut être
objectif, cest quand même plus difficile quand vous postulez
pour un emploi et que vous habitez un quartier qui est souvent épinglé
à la une des médias pour des faits peu reluisants. Dailleurs,
ils napprécient pas du tout que le quartier où ils
habitent soit au coeur de lactualité; ils pensent que cela
ne peut que conforter lamalgame.
Comment perçoivent-ils la politique
de la ville?
Majoritairement, cela les fait sourire. Repeindre quelques halls, ravaler
les façades et ajouter des équipements sportifs, ils ne
se sentent pas du tout concernés par de telles mesures. Par rapport
à leur tranche dâge, ce nest pas ce quils
attendent! Ils ont limpression également, que les politiques
soccupent bien plus des délinquants, que largent
public est bien mal distribué, que ce sont toujours les mêmes
dont on soccupe, et prioritairement ceux qui utilisent la violence.
Ils soulignent que les jeunes qui sèment la pagaille sont une
minorité dans les cités, que cest souvent une petite
bande qui sème le désordre, fait déplacer les médias
mais reçoivent subventions et aides. En outre, ils ont beaucoup
de difficultés à comprendre limpuissance des pouvoirs
publics, tenus en échec par une poignée de jeunes.
Alors que veulent-ils?
Avant tout, ils veulent déménager, quitter la cité,
et changer denvironnement. Je nen ai trouvé aucun
qui mait dit vouloir y rester. Bien au contraire, la cité
est perçue comme la cause de tout leurs maux. Elle est montrée
du doigt. Evidemment, ils savent que cela ne résoudra pas tous
les problèmes, notamment celui de leurs origines. Mais quitter
la cité est perçu comme une étape indispensable
permettant une meilleure intégration, une sorte de point de départ
pour obtenir la reconnaissance sociale quils souhaitent. Dailleurs,
ils nenvisagent pas la possibilité de créer une
famille dans ces quartiers. Vivre en cité leur interdit, toute
projection dans lavenir. Beaucoup ont demandé un logement
et sont dans lattente dune réponse. Tout leur espoir
est là!
En conclusion?
Je pense que les politiques devraient aller plus souvent à leur
rencontre, les écouter, dialoguer. Il est encore possible de
leur redonner confiance en lavenir même si ce nest
pas joué davance.
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