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Mardi 11 juin 2002.
Abdel Kacem
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I - La première cohabitation 1986-1988 : une reconquête permanente du
pouvoir.
Dès 1983, Valéry Giscard d'Estaing dans un entretien à L'Express le 14 janvier
l’affirme : même en cas de victoire de la droite aux législatives, il ne fait aucun doute
que le Président de la République devra rester en place.
Edouard Balladur, explique lui aussi, dans le journal Le Monde du 16 septembre que
rien ne s'oppose dans la Constitution de 1958 à ce qu'un Président de la République et
une assemblée de tendance opposée cohabitent.
En 1986, Jacques Chirac affirme également: "Nous avons une Constitution qui a fait
ses preuves, appliquons-la purement et simplement". (TF1, 9 février 1986).
Raymond Barre sera sans doute une des seules personnalités qui condamnera toute
forme de cohabitation et qui plaidera pour la démission du Président de la République
en cas de victoire de la droite.
Selon l’ancien Premier Ministre de Valery Giscard d’Estaing, la cohabitation est
dangereuse pour les institutions de la Cinquième République et elle ne pourrait
qu'affaiblir le pouvoir présidentiel.
François Mitterrand, quant à lui le proclame haut et fort. Il a été élu pour sept ans et il
accomplira la totalité de son mandat :
"Le Président de la République est élu par le peuple pour une durée donnée, en la
circonstance, c'est sept ans, et pendant ces sept ans il doit faire son devoir."
(conférence de presse, 21 novembre 1985).
"Quant à moi, garant de l'unité nationale, je serai là pour assurer la continuité de
nos institutions et répondre comme il se doit aux volontés de notre peuple." (voeux
radio-télévisés, 31 décembre 1985).
Jamais, souligne le Président, je n’exercerai de " présidence au rabais " :
"Je préfèrerais renoncer à mes fonctions que de renoncer aux compétences de ma
fonction, des compétences qui me sont reconnues par la Constitution. Il n'est pas
question pour moi d'être un Président au rabais." (TF1, 2 mars 1986).
Il reprend également l'affirmation qu’il avait énoncée un an plus tôt : "On n'élit pas un
Président pour qu'il soit inerte. (...) La Constitution ne prévoit aucunement que les
députés et l'Assemblée Nationale puissent censurer le Président de la République.
Alors à tous ceux qui, parce qu'ils ont un gros appétit se précipitent vers ce qu'ils
croient être un fromage, je leur dis que je ne resterai pas inerte." (TF1, 28 avril
1985).
A la question de savoir qui sera nommé Premier ministre en cas d’une victoire de la
Droite, François Mitterrand répond: " Le Président de la République nomme qui il
veut. Il doit naturellement se placer en conformité avec la volonté populaire. (...) Je
devrai m'adresser à une personnalité de la majorité pour conduire le gouvernement.
(...) Personne ne désignera le Premier ministre à ma place, croyez-moi." (TF1, 2
mars 1986).
Ainsi, pour F. Mitterand, il est donc hors de question que le Premier ministre
soit désigné par les appareils politiques.
Le 20 mars 1986, Jacques Chirac est nommé Premier Ministre et il entend respecter le
texte constitutionnel.
Quelques instants seulement après sa nomination, il déclare : "Tout d'abord les règles
de notre Constitution et la volonté du peuple français doivent être respectées. Les
prérogatives et les compétences du Président de la République, telles qu'elles sont
définies dans la Constitution sont intangibles. Le Gouvernement, dirigé par le
Premier Ministre, détermine et conduit la politique de la nation en vertu de l'article
20 de notre Constitution".
En écho, François Mitterrand en s’adressant au Parlement le 8 avril 1986 confirmera :
" Beaucoup de nos concitoyens se posent la question de savoir comment
fonctionneront les pouvoirs publics. A cette question, je ne connais qu'une réponse,
la seule possible, la seule raisonnable, la seule conforme aux intérêts de la nation :
la Constitution, rien que la Constitution, toute la Constitution."
L’ironie de l’histoire veut que F.Mittérand, principal opposant à la Constitution de
1958, en devient en 1986 le principal garant.
Un Président qui marque sa différence.
Si l’harmonie paraît régner au sommet de l'Etat, dans les faits, des divergences sont
vite apparues. Le président veut marquer sa différence.
Dès le Conseil des ministres du 26 mars, François Mitterrand ouvre les hostilités : tout
en affirmant ne pas vouloir priver le gouvernement du droit de recourir aux
ordonnances, il rappelle qu'en matière sociale, " il ne signerait que des ordonnances
qui présenteraient un progrès par rapport aux acquis ".
Il réitère cette affirmation au Conseil des ministres du 9 avril au sujet des privatisations
que le gouvernement de Jacques Chirac s'apprêtait à mettre en oeuvre, conformément
à ses engagements.
Comme le gouvernement et lui seul " détermine et conduit la politique de la nation ",
François Mitterrand va se forger pendant ses deux ans, une image de défenseur,
d’ultime recours, de rempart protecteur contre les décisions gouvernementales surtout
lorqu’elles entraînent une certaine hostilité ou réticence d'une partie de l'opinion
publique.
Ce comportement se révèlera payant électoralement parlant et il pourra en jouer
d'autant plus aisément qu'une majorité des Français lui font dorénavant " tout à fait
confiance ou plutôt confiance pour résoudre les problèmes qui se posent en France
actuellement " (sondage Sofres/Figaro Magazine, 5 avril 1986). confiance qu'il
n'atteignait pas un mois plus tôt.
Le Président de la République, même s’il dispose de pouvoirs constitutionnels
amoindris, profite ainsi du fait que dans l'inconscient collectif des Français, la fonction
présidentielle reste malgré tout prééminente et rassurante.
Pendant deux ans, François Mitterrand se posera tantôt en arbitre, tantôt en chef de
l'opposition n’hésitant pas au gré des circonstances à s’adresser directement à
l’opinion publique.
L’Elysée: la Cour d’Appel des citoyens.
Afin de cultiver sa différence, François Mitterrand, à l'issue du premier Conseil des
ministres, refuse la traditionnelle photo de famille réunissant Président et
gouvernement.
Lors du reportage télévisé effectué le jour du premier Conseil des Ministres, le
Président veillera à apparaître bien isolé alors que les ministres affichent un sourire
radieux. Il devient alors celui qui reste seul contre tous et s’attire la sympathie de
tous ceux qui craignent, à tort ou à raison, un changement dans la politique
économique et sociale du pays.
Dès lors, la côte de popularité du Président ne va cesser de grimper. Jamais, il n’avait
obtenu de tels scores sous un gouvernement socialiste. Les échéances électorales étant
proches, le Président Mitterand va très vite comprendre les avantages qu’il pourra tirer
de la cohabitation. Ainsi, il va multiplier les petits gestes et les signes en direction des
futurs électeurs de l’élection présidentielle.
Le Président se fera dès que l’occasion s’y prêtera, le défenseur “des avantages
acquis” :
Par exemple, lorsque le gouvernement décide de supprimer la loi sur l'autorisation
administrative de licenciement (14 mai 1986), F.MittErand fait connaître sa
désapprobation;
en novembre-décembre 1986, lors de la manifestation des lycéens et des étudiants
contre le projet de réforme de l’enseignement supérieur, il déclare comprendre et être
“sur la même longueur d’onde” qu’eux.
En janvier 1987, il reçoit une délagation de cheminots grévistes.
Comme le notent Philippe Ardant et Olivier Duhamel, " François Mitterrand voulut
conserver le peu de pouvoirs que la situation lui laissait, Constitution aidant. (...) Il
voulut surtout reconquérir le pouvoir à la première occasion venue, en l'espèce à
l'échéance, des plus rapprochées (1988). Il voulut donc utiliser la cohabitation pour
la reconquête. Il le voulut. Il le fit. " (Ph. Ardant et O. Duhamel, " La dyarchie ",
Pouvoirs n° 91, 1999, p.7).
L’affrontement final.
Cette première cohabitation fut mouvementée.
" Campagne électorale permanente ", " cohabitation hyperconflictuelle " ont été les
expressions favorites employées pour caractériser cette première cohabitation. Elle se
termine par l'affrontement à l'élection présidentielle d'avril-mai 1988 des deux hommes
qui ont eu la charge commune des affaires de l'Etat pendant deux ans.
La bataille fut rude à l’image du débat télévisé du 28 avril 1988 entre le Président et
son Premier ministre.
Mais la cohabitation fut aussi difficile. Jacques Chirac l’avouera:
" Je ne vous cache pas que cela n'a pas toujours été facile. Je n'ai pas eu pendant
cette période, si j'ose dire, un lit de roses " (TF1, 7 décembre 1990).
Au terme d’une campagne sans concession, F.Mitterand est réélu et c’est la fin de
cette première cohabitation tumultueuse. Le moins que l’on puisse dire c’est que la
fonction présidentielle n’en sortira pas du tout amoindrie.
II - La deuxième cohabitation de 1993-1995 : la " cohabitation douce ".
Comparée à la première cohabitation, cette deuxième fut sans doute plus calme et plus
consensuelle. Cependant Edouard Balladur, dans Deux ans à Matignon (Plon, 1995),
tempère quelque peu cette impression même s’il reconnaît qu’elle n'eut pas le caractère
de "campagne électorale prolongée" de la période précédente.
Les deux
protagonistes avaient retenu les enseignements et la situation n’était plus totalement
inédite. D’autre part, le contexte politique et les rapports de force entre droite et
gauche sont ici, totalement différents. Le Président de gauche sort cette fois très
affaibli politiquement de ces élections législatives de mars 1993; le P.S ne recueillant
que 17,6% des suffrages exprimés.
Une victoire écrasante de la droite :
Au premier tour, la gauche perd la moitié de son électorat par rapport au dernier
scrutin législatif de 1988 et, après le deuxième tour, 4/5e de ses députés sont
désavoués. Plusieurs de ses responsables, et non des moindres, sont battus . Ce fut le
cas de Michel Rocard et de Lionel Jospin. A l’Assemblée Nationale; le groupe
socialiste et apparentés est réduit à 56 membres.
Le Président contrairement à 1986 est très isolé. Sans compter que ses liens avec le
P.S commencent à se distendre : son parti prépare en effet, l’après-mittérandisme ce
qui donne lieu à des luttes internes et fratricides.
De plus, le Président connaît de graves problèmes de santé et contrairement à 1986, il
apparaît clairement qu’il ne pourra pas être candidat à l’élection présidentielle de
1995.
Le seul point commun avec cette cohabition et celle de 1986, c’est que le Président
n’envisage pas de mettre un terme à son mandat. Elu pour sept ans, il ira jusqu’au
bout de son deuxième mandat.
Il le rappelle d’ailleurs sur France 3 dès 1993.
" Ce que je peux vous dire c'est que je n'ai pas l'intention de démissionner si se
produisait un changement de majorité comme beaucoup le prévoient au mois de
mars, c'est-à-dire s'il y a une majorité de droite. Quelle que soit son ampleur, cela
n'a aucune importance, je veux dire, sur ce plan-là (...). Je dois exécuter le mandat
pour lequel j'ai été élu (...). Une élection législative ce n'est pas une élection
présidentielle. "
L’opposition remporte donc un succès historique. Les candidats RPR-UDF et divers
droite totalisent plus de 45% des voix au premier tour. La nouvelle majorité comprend
un nombre impressionnant de 484 députés sur 577.
Le 29 mars, Edouard Balladur, ancien ministre de l'Economie pendant la première
cohabitation, est nommé Premier Ministre. Depuis quelques mois, il se disait favorable
à une nouvelle cohabitation.
Si Raymond Barre y restait toujours fermement hostile / "L'expérience 1986-1988
instructive à souhait n'a rien appris. On va donc recommencer " (Le Figaro, 10 mars
1993), il n’est plus le seul : une partie importante de l’opposition reste méfiante.
Valéry Giscard d'Estaing souhaite en février 1993 qu'en cas de victoire de l'opposition
Le Président F.Mittérand démissionne et que soit organisée une élection présidentielle
anticipée. Il faut à tout prix éviter que la France ne vive encore “une période
électorale continue " pendant deux ans.
Si cette deuxième cohabitation fut plus calme que la première, il y eut malgré tout des
moments de friction entre le Président et son Premier Ministre.
Ainsi, le chef de l’Etat refuse d’inscrire à l’ordre du jour de la session extraordinaire
de juillet 1993, la révision de la loi Falloux, la reprise des essais nucléaires, et la
question d'une révision constitutionnelle pour l'application des accords de Schengen.
François Mitterrand se démarquera de l'action du Premier ministre dès qu’il estimera
que les acquis sociaux sont menacés.
Une cohabitation qui en cache une autre.
Mais et c’est ce qui fait également toute la différence, le gouvernement doit essuyer de
nombreuses critiques au sein de la Droite elle-même et plus encore du parti dont est
issu le Premier Ministre à savoir le RPR.
Nombre de voix s’élèvent alors réclamant l’application d’une " autre politique " dans
le domaine économique et social.
Les critiques se font violentes envers la méthode de gouvernement d'Edouard
Balladur, une politique trop consensuelle de l’avis de la majorité parlementaire. Les
députés n’hésitent pas à le qualifier de “gouvernement de recul” qui n’hésite pas à
revenir sur ses décisions sous la pression de la rue.
A partir de l'été 1994, il ne fait que s’amplifier lorsqu’il apparaît clairement que
Jacques Chirac et Edouard Balladur s'opposeront à l'élection présidentielle de 1995.
Le conflit politique apparaît bien là où on l’attendait le moins : dans la propre majorité
du Premier Ministre.
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