Mesdames et messieurs,
Lors de la dernière réunion de la commission nationale de la négociation collective, j’avais pris rendez-vous avec vous pour que soit abordée, dès l’automne, devant votre commission, la question des SMIC et des 35 heures.
Cet engagement est aujourd’hui tenu. Il s’inscrit dans une démarche que j’entends privilégier : celle du dialogue, de l’écoute, de la franchise ; ces vertus préfigurant l’esprit d’une démocratie sociale que je souhaite plus vivante et constructive.
Le cap que j’entends poursuivre est clair : il est dicté par le respect de nos engagements politiques et est inspiré par une idée dynamique du progrès économique que je ne puis dissocier de celui de la justice sociale.
Notre rendez-vous a été précédé de réunions bilatérales au cours desquelles chacune de vos organisations syndicales et professionnelles a été consultée et a pu exposer ses observations, voire ses critiques. J’ai personnellement apprécié la teneur de nos entretiens. Ils m’ont permis de mieux sentir vos préoccupations et dès lors de mieux saisir le fil de l’intérêt général. Je me suis efforcé de tenir compte de vos remarques et vos propositions.
Notre calendrier est, j’en conviens, serré puisque les dernières consultations ont eu lieu en début de semaine. Mais c’est la contrepartie du souci, partagé me semble-t-il, de régler au plus vite dans l’intérêt commun des salariés et des entreprises, le dossier des SMIC qui passe nécessairement par une intervention du législateur.
Il y a, en effet, urgence.
Ni les rapports commandés par le passé par l’administration, ni les groupes de travail institués au sein de votre commission, n’ont permis d’aboutir sur ce dossier, héritage empoisonné d’une réduction du temps de travail dont les comptes n'ont pas été soldés.
I- Il nous faut maintenant sortir de l’impasse des multismic. C’est une responsabilité que le gouvernement a choisi d’assumer avec le souci de la rapidité et de l’équité.
Le SMIC joue un rôle particulier dans le champ des relations du travail. Il détermine bien évidemment le minimum horaire auquel doit correspondre la rémunération de tout salarié. Il concerne plus de deux millions d’entre eux. Il constitue, par ailleurs, une valeur de référence déterminante dans la fixation et l’évolution des basses rémunérations.
Cette référence a été singulièrement brouillée avec l’apparition des 35 heures et des multiples garanties mensuelles qui ont été instituées.
Le principe posé par l’article 32 de la loi du 19 janvier 2000 était, en apparence, simple : il fallait faire en sorte que, pour les salaires le plus bas, le passage aux 35 heures ne se traduise pas par une réduction de la rémunération. De même ne semblait pas poser de difficulté particulière le principe, posé par ce même article, de la convergence entre la garantie mensuelle et le SMIC.
La réalité, maintes fois et unanimement dénoncée, vous la connaissez : une multiplication des valeurs de référence, une complexité inextricable tant pour les salariés que pour les employeurs.
Cette complexité est d’autant moins acceptable qu’elle ne permet même pas d’atteindre les objectifs visés par les auteurs du texte.
Contrairement à ce qui avait été dit, le dispositif ne permettait pas d’obtenir par lui-même la convergence à terme du SMIC et de la garantie mensuelle puisque toute augmentation du SMIC entraînait la création d’une nouvelle garantie repoussant d’autant la convergence.
Le dispositif ne permettait pas davantage d’assurer la justice sociale puisqu’il entraînait des disparités entre les salariés selon que leur entreprise était ou non passée aux 35 heures ou selon la date du passage à un horaire collectif de 35 heures.
Chacun se perdait dans cet imbroglio puisque, comme l’a constaté votre commission dans le cadre du bilan de la négociation collective, il devenait de plus en plus difficile de fixer dans les accords salariaux de branche une valeur de référence et de comparaison dans la détermination des minima de branche.
Inéquitable et illisible pour le salarié, complexe et coûteux pour les entreprises, notamment pour les plus petites d’entre elles, il fallait, face à ce constat, agir vite, non seulement parce que la loi elle-même l’imposait, mais aussi et surtout parce que c’est une question de justice sociale et d’efficacité économique.
C’est sur la base de cette analyse que le Premier Ministre, dès l’installation du Gouvernement, a saisi le Conseil économique et social dont je tiens ici à saluer la célérité et la qualité de ses travaux.
Ils ont permis au gouvernement d’élaborer le projet qui vous est aujourd’hui soumis.
Elaborés avec rigueur et rapidité par les services de la DRT et de la DARES, les documents qui vous ont été remis dans le cadre de la préparation de cette séance visent à vous éclairer sur les éléments techniques du dossier.
Vous avez pris connaissance de ces deux rapports. Je n'y reviens pas. Au-delà de ses aspects techniques, le projet du gouvernement répond en réalité à trois préoccupations essentielles :
- premièrement, rétablir au plus vite ce que j’appellerai l’unité du SMIC, valeur de référence mise au service d’une lisibilité salariale qui doit, à nouveau, animer le monde du travail ;
- deuxièmement, assurer l’évolution du pouvoir d’achat des salaires les plus bas ;
- enfin, préserver la compétitivité des entreprises.
La restauration de l’unité du SMIC passe nécessairement par un mécanisme volontaire de convergence.
La première condition est d’arrêter le cycle de création, chaque année, de nouvelles garanties mensuelles. La dernière garantie, sera la 5ème garantie, (la « GMR 5 »), qui a été fixée en juillet 2002.
A partir de là, un double mouvement de convergence doit être opéré, le point final de convergence étant fixé au 1er juillet 2005.
Pendant les trois années qui nous séparent de cette date, le premier mouvement de convergence concernera les garanties mensuelles qui tout en en augmentant en fonction de l’évolution de l’indice des prix feront, chaque année, l’objet d’une revalorisation, afin de permettre leur alignement à la date fixée sur la garantie mensuelle la plus haute, c’est à dire la garantie de juillet 2002.
S’agissant de cette dernière garantie, celle-ci verra préserver son pouvoir d’achat, dans la mesure où comme les autres garanties, elle évoluera, chaque année, pendant cette période de trois ans, en fonction de l’indice des prix.
Le second mouvement de convergence concernera le rapport entre les garanties mensuelles et le SMIC puisque ce dernier, par rattrapages successifs incluant tant l’évolution des prix que les coups de pouce nécessaires, rejoindra par paliers successifs le différentiel de 11, 4% qui le sépare, en valeur réelle, de la dernière garantie mensuelle.
Vous l’aurez noté, cette dernière convergence implique que les règles de calcul du SMIC soient modifiées, mais cette dérogation ne sera que temporaire et exclusivement justifiée par les besoins de l’opération. Il n'en reste pas moins que la grande majorité des salariés au SMIC aura bénéficié de gains de pouvoir d'achat, au cours de cette période, bien supérieurs à la simple application de ces règles habituelles.
Tel est le point sur lequel, conformément à l'article 32 de la loi du 19 janvier 2000, je devais consulter la CNNC.
II- Le second volet de la réforme est celui de l'allègement de charge.
Pour faire en sorte que la réforme n’affecte pas l’emploi mais au contraire l’encourage, celle-ci s’accompagnera, pour l’ensemble des entreprises, d’un allégement significatif des charges ciblées sur les plus bas salaires.
Un nouveau dispositif d'allègement se mettra progressivement en place à partir du 1er juillet 2003. Ce dispositif, maximum au niveau du SMIC soit 26 %, concernera tous les salaires inférieurs à 1,7 fois le SMIC.
Cet allègement, dont le surcoût pour les finances publiques sera de l'ordre de 5 milliards d'Euros d'ici 2006, sera, je le souligne, compensé aux régimes de sécurité sociale.
S'appliquant à toutes les entreprises, indépendamment de leur durée collective, il n'introduira pas d'effet pervers dans le choix de cette durée. L'allègement structurel sera supprimé.
Ciblé sur les bas salaires, le nouveau dispositif contribuera à stimuler l’emploi.
Il aidera les entreprises à passer le cap de la sortie des multismic.
Il aidera celles d’entre elles qui ne sont pas passées à 35 heures, pour l'essentiel des PME.
Il profitera fortement aux entreprises dont les salaires sont concentrés entre 1,2 et 1,7 Smic.
Ce dispositif d’allègement de charges ne peut être dissocié d’une nouvelle faculté que nous souhaitons offrir aux entreprises et aux salariés dans l’organisation du travail.
III- C’est là la question des 35 heures et des assouplissements de la loi.
Le document qui vous a été remis présente - sous réserve de votre appréciation et de l’avis du Conseil d’Etat - les dispositions qui seront celles du projet de loi. Ce texte sera présenté au Conseil des Ministres du 18 septembre et débattu par le Parlement au début du mois octobre.
L’assouplissement des 35 heures s’appuie sur une philosophie et une méthode d’actions que nous cherchons à promouvoir.
Nous souhaitons - c’est ici notre philosophie - donner toute sa place au travail, valeur qu’il convient, selon nous, de revaloriser parce qu’elle reste l'un des éléments structurants de notre société, mais aussi parce qu’elle est le gage de notre progrès économique et social ; ce progrès qu’il nous faut conquérir face à la compétition internationale.
La méthode, c’est celle de la concertation, celle-ci ouvrant le champ à la responsabilité des acteurs sociaux et au pragmatisme car les situations sur le terrain sont variées. Nous voulons, d’une façon générale, rendre toute sa place à la négociation collective. Le thème de l'aménagement du temps de travail – qui inaugure d’autres sujets que nous aurons ensemble à aborder à l’avenir – se devait d’illustrer cette ambition.
Le point essentiel de la réforme s’articule, vous le savez, autour du régime des heures supplémentaires, dont dépendent le rythme de travail des salariés, leur rémunération et l’organisation du travail au sein des entreprises. C’est là le cœur du dispositif sur l’aménagement du temps de travail.
Le système actuel se caractérise - là aussi ! - par sa complexité puisqu’il faut distinguer entre le contingent dont le dépassement est subordonné à l’autorisation de l’inspecteur du travail et le contingent dont le dépassement implique l’octroi du repos compensateur. L’un peut être négocié par les partenaires sociaux, l’autre, celui relatif au repos compensateur, est fixé unilatéralement par l’Etat par voie de décret. A cela s’ajoute un régime complexe définissant les conditions de rémunération des heures supplémentaires.
La réforme proposée repose sur trois principes :
- la simplicité ;
- la souplesse et la volonté de s’adapter à la situation de chaque branche ou entreprise ;
- le maintien des équilibres et garanties essentiels par l’Etat.
Simplicité d’abord : c’est le sens de l’uniformisation des contingents. Il existera désormais un contingent unique déterminant tant l’autorisation administrative que le déclenchement du repos compensateur. Ce souci de simplicité ne doit toutefois pas aller jusqu’à méconnaître la situation spécifique des petites entreprises qui feront l’objet de dispositions particulières.
La volonté de souplesse se traduit, quant à elle, par un renvoi aux partenaires sociaux de la fixation du niveau du contingent des heures supplémentaires et des conditions de leur rémunération. C’est là le point essentiel de la réforme proposée. Sa portée dépasse les 35 heures. Elle éclaire notre intention d’inciter à un rééquilibrage, disons-le politique et culturel, entre le droit législatif et réglementaire et la norme conventionnelle.
Cette inflexion ne se traduit pas par un désengagement de l’Etat, dont, pour ma part, je défends les prérogatives stratégiques.
S’agissant d’une question aussi essentielle pour les salariés que celle de la rémunération des heures supplémentaires, la loi fixe ainsi les modalités de l’accord qui en déterminera le régime en exigeant un accord de branche étendu.
La loi fixe, par ailleurs, une règle minimale en dessous de laquelle les partenaires sociaux ne sauraient valablement aller en prévoyant que le taux de majoration ne peut être inférieur à 10%.
Enfin, tant en matière de fixation du niveau du contingent que pour les conditions de rémunération des heures supplémentaires, l’Etat fixe la règle supplétive qui s’applique en l’absence d’accord.
A cet égard, je ne veux pas ici esquiver la question du décret qui fixera dans ce cadre, à défaut d’accord, le niveau du contingent. Le renvoi à la négociation que prévoit la loi n’aurait guère de sens si parallèlement l’Etat fixait de manière indéfinie le niveau supplétif du contingent. Ce serait perçu comme une forme déguisée d’intervention de l’Etat sur les discussions futures affectant le contenu voire l’existence même des négociations. Le décret qui sera pris est donc appelé à être évalué. C’est au vu des négociations et des pratiques instaurées dans les entreprises que le Gouvernement réexaminera et choisira le niveau optimal du contingent qui doit s’appliquer en l’absence d’accord. Il le fera après avis de la CNNC et du Conseil Economique et Social.
Ces mêmes exigences de simplicité et de souplesse inspirent les autres dispositions plus techniques concernant les 35 heures et qui figurent dans le dossier.
Voilà, pour l’essentiel, la nature des ajustements que nous envisageons concernant les 35 heures
Il ne s’agit pas d’un retour en arrière, mais bien d’une avancée du pragmatisme face au dogmatisme d’une loi aux rigidités excessives. La durée légale de 35 heures est maintenue, mais elle sera organisée sur un mode qui permet aux acteurs sociaux, s'ils le souhaitent, de l’aménager, de l'adapter, bref de se l'approprier. Cette réforme, j’insiste à nouveau sur ce point, préfigure ainsi un des chantiers qui sera le nôtre l'an prochain : celui de la dynamisation de la négociation collective par le biais de la validité et de la légitimité des accords.
La nécessaire modernisation du pacte républicain suppose que nous fassions avancer dans un même élan, la démocratie nationale, la démocratie locale et la démocratie sociale. Ce dernier volet est entre nos mains.
Harmonisation rapide et ambitieuse des SMIC, amplification de la baisse des charges destinée à une maîtrise du coût du travail, assouplissement des 35 heures permettant de mieux répondre aux besoins de notre économie et aux aspirations des salariés : voilà le triptyque volontariste que le gouvernement propose. Nous voulons sortir notre pacte économique et social du statu quo actuel tout à la fois marqué par la rigidité et l’iniquité. Cette dynamique, je cherche, à travers l’ouverture d’espaces de concertations et de négociations, à vous en faire des acteurs.
Tels sont les éléments de réflexion que souhaitais vous livrer avant que nous puissions engager la discussion.