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Dimanche 21 décembre 2003
Marie-Hélène SOUIAH
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Malgré la pluie, il y avait du monde dimanche après midi pour cette manifestation parisienne. Les femmes voilées ou non se sont déplacées pour dire non à une future loi interdisant le voile à l'école.
Au départ de la marche, des jeunes filles distribuent des rubans verts. Elles sont inquiètes, s'agitent : " Y aura-t-il du monde ? "
Vers 14h30, quand le cortège démarre en direction de la Bastille, les manifestants sont nombreux ! En tête du rassemblement, défilant au son de la Marseillaise, les femmes sortent leurs cartes d'identités, leurs cartes d'électeurs et scandent "Un voile, une voix, aux urnes, on se retrouvera !", des drapeaux tricolores sont également déployés.
Les manifestantes tiennent visiblement à affirmer qu'elles sont des femmes libres, musulmanes, françaises, républicaines et citoyennes.
Les slogans sont très clairs : " France bien aimée, où est ma liberté ? ", " Laïcité que de crimes on commet en ton nom ! ", " Touche pas à ma foi ", " l'islam, le voile, c'est cela mon choix ", " Pour être français, doit-on se dévoiler ? ".
CONTRE UNE LOI INJUSTE
Voilées ou pas, ces femmes estiment que cette loi est injuste, qu'elles ont été pointées du doigt, présentées comme des ennemies de la République. Nombreuses aussi sont celles qui pensent que le débat qui les concerne s'est déroulé sans elles. " C'est simple lors des émissions, vous aviez d'un côté ceux qui sont contre, avec quelques filles médiatiques qui viennent nous expliquer que nous sommes des femmes soumises, voire des fondamentalistes, que nous représentons des dangers pour la République ; de l'autre, pour défendre le port du voile, il n'y a rien que des hommes ! Et nous les musulmanes qui le portons où sommes-nous ? " demande Sofia (25 ans).
" Tu es dans ta cuisine ma grande ! Donc pas besoin de t'écouter puisque t'es une femme soumise et aliénée qui ne pense pas par toi-même ! " plaisante Malika (20 ans).
Les jeunes filles qui se sont déplacées entre copines nous précisent :
" Regardez ! On vous parle et on est toute seule ! Y a pas un seul homme avec nous ! Alors, écrivez-le s'il vous plaît ! "
Certaines participantes sont très jeunes. Elles aussi ne comprennent pas : " Pourquoi, n'aurais-je pas le droit d'étudier avec mon voile ? " interroge Salima,16 ans.
Un homme s'approche " Cette loi, c'est plus qu'une blessure pour les musulmans ! C'est une véritable attaque de l'état tout entier contre l'islam! "
Perdu dans l'immense cortège, un homme brandit une pancarte, il est professeur d'histoire-géographie dans le 91. Il s'est déplacé tout spécialement pour dire que dans ses cours, il n'avait pas de problème avec les étudiantes voilées : " Elles sont studieuses et très calmes " nous assure-t-il.
L'ARBRE QUI CACHE LA FORÊT
Mais pour ceux qui ont pris le temps d'écouter ces femmes, il n'est pas difficile de deviner que le malaise qu'elles ont exprimé dimanche, dépassait largement le cadre du foulard !
" Si une loi l'interdit, l'islam nous donne la possibilité de ne pas le porter pour étudier ! Donc on se pliera ! Mais quand même, ils font une loi contre nous ! Ils sont tous contre nous !" explique cette mère de famille.
" La France ne nous aime pas autant que nous l'aimons. Elle se méfie de nous ! Pourquoi ?" demande Fatim, 17 ans qui arbore un voile bleu, blanc, rouge. " Depuis des années, l'Etat nous laisse de côté et on croupit dans nos quartiers sans dignité et aujourd'hui qu'enfin j'ai trouvé quelque chose qui m'appartient, qui est à moi, on veut me l'enlever ! Vous savez ce voile, c'est plus que tout pour moi ; cela dépasse le commandement divin, c'est ma façon d'exister, d'être remarquée ! C'est ma façon d'être digne, reconnue de tous ! D'avoir une présence aussi, une existence dans la société" explique-t-elle les larmes aux yeux.
Samia (49 ans) qui ne porte pas le voile, approuve : " Vous savez quand je vivais recluse dans ma cuisine, l'état ne pensait à moi ! Personne ne se demandait si j'étais soumise ou aliénée à l'époque ! Pas même les féministes d'aujourd'hui! Je vivais dans un quartier oublié, loin de tout le monde et ce que je vivais ou pouvait vivre n'intéressait personne ! Aujourd'hui alors que nos filles ont retrouvé une dignité et une indépendance, ils veulent encore les enfermer ! Je suis fière de mes filles car elles vont avoir une vie différente de la mienne ! Elles sont nées ici et elles ont des droits que je n'ai pas ! "
" Mais attention ! " reprend cette mère d'origine algérienne " Qu'aucun bonhomme ne vienne mettre le nez dans les affaires de mes filles ! Le port du foulard, c'est entre elles et Dieu que ça se passe ! Et puis comme je disais à mes filles, ici en France, vous avez une chance énorme de pouvoir choisir ! Il faut pas croire que les filles obligées de se voiler soient aussi nombreuses ! Cela existe mais c'est très minoritaire et là, je suis prête à descendre combattre à leur côté pour qu'elles ne se laissent rien imposer, croyez-moi !"
Pendant le défilé, beaucoup de manifestants évoquent aussi la décision du Maire UMP, de Nogent-sur-Marne qui a déclaré qu'il ne célèbrerait plus le mariage de toute femme se présentant voilée : " Vous vous rendez compte ! Si c'est pas terrible ! Ca y est, on sait aujourd'hui que la droite et la gauche nous détestent, il avait pas besoin d'en rajouter une couche ! Qu'est-ce qu'il voulait dire que l'UMP nous déteste plus encore que le PS ? Je ne suis vraiment pas optimiste en ce qui concerne notre religion ! C'est pour cela que je suis venue aujourd'hui ! " soupire Fatim " Vous croyez qu'il va interdire aussi les mariées traditionnelles tout de blanc vêtues avec leur grand voile de tulle ! C'était pourtant tellement beau à regarder ! "
Pour Kadidja les attaques ne cessent de se multiplier : " A propos du foulard, en fait tout le monde se dévoile et aujourd'hui, les musulmanes et les musulmans ne peuvent ignorer qu'ils sont mal aimés ! C'est pas facile à vivre ! Mais d'un autre côté, c'est bien de connaître vos ennemis"
" Ni frères, ni maris ", "Ni dupes, ni soumises, le foulard on l'a choisi."
D'autres slogans qui résonnent comme autant de reproches adressés à Fadéla Amara, la présidente de l'association " ni pute, ni soumise ". Ici, elle ne semble pas être en odeur de sainteté !
Une impression que Rachida et bien d'autres, confirmeront d'ailleurs " Vous me demandez ce qu'elle fait de mal alors que pour des intérêts carriéristes, elle déclare la guerre aux musulmanes et aux musulmans ! On en a marre de cette femme ! Que l'état arrête de lui filer du blé à tour de bras et qu'il le donne au ministre tout frisé là dont je ne me souviens plus du nom, pour qu'il rende les quartiers plus vivables ! "
" Rien que le nom de cette association résonne comme une insulte pour moi ! " souligne Aïcha " Mais Fadela, ils l'écoutent religieusement et tu sais pourquoi ? Parce qu'elle parle comme ils le veulent parce qu'elle dit tout ce qu'ils souhaitent entendre ! Alors peu importe, si elle raconte des conneries ! Vous savez dans les quartiers, des organisations de gauche, on en a eu plein depuis des années et une fois qu'ils ont fait leur beurre, ils rentrent au PS en remerciement des services rendus et nous on reste dans notre isolement, dans notre discrimination ! C'est pour cela aussi que je suis venue aujourd'hui ! Parce que je suis une révoltée"
" Amara, quand elle bossait à la maison des potes qu'est-ce qu'elle a fait pour ma mère et pour les filles des cités? La violence en banlieue, elle vient de la découvrir, c'est nouveau, ça vient de sortir ? SOS racisme, ils ne sont plus crédibles, ils n'ont plus d'argent alors ils nous sortent Fadela de leur chapeau pour obtenir de nouvelles subventions ! C'est rien que de la politique, tout ça ! Mais en attendant, elle est prête à nous sacrifier sur l'autel de sa carrière! Qu'elle nous foute la paix, on a pas besoin d'elle ! Nous, on est libre, plus libre qu'elle! On est ni soumise, ni aliénée par personne ! Par aucun parti, ni aucune association ! Est-ce qu'elle peut en dire autant ?" reprend Nassima.
Nos interrogations ont provoqué un véritable attroupement et l'atmosphère est électrique !
" Amara, cela fait plus de 10 ans qu'elle bosse dans des associations au frais du contribuable et qu'est-ce qu'elle a fait pour nous ? Elle parle du voile, elle affirme des choses, mais si t'es pas d'accord avec elle, t'es une fondamentaliste ! Moi la démocratie façon Fadela Amara, elle ne m'intéresse pas ! Vous croyez franchement, que c'est en interdisant le voile que les tournantes vont cesser dans les quartiers ou qu'il n'y aura plus de violence dans les collèges ? Cette histoire de voile, c'est l'arbre qui cache la forêt ! C'est uniquement pour stigmatiser une religion qui dérange, c'est pour masquer aussi l'échec de la politique de la ville " nous dit Myriam, une musulmane fraîchement convertie.
" Cette Fadela Amara mélange tout ! Elle ose dire que si on se voile c'est pour se protéger des garçons ! On porte un voile pour éviter de se faire tourner ! C'est n'importe quoi ! Qu'elle aille dans les pays musulmans et elle verra si les femmes voilées ne se font pas violées ! Elle pense que mon voile me protège des pervers ? C'est incroyable ! Et tout ces intellectuels gâteux qui l'approuvent de la tête…Vous voulez que je vous dise, ils me débectent ! Bon, on va y aller maintenant, mais merci de nous avoir permis de sortir tout cela ! Pour terminer, c'est une loi contre l'islam contre le foulard et contre les femmes qui le portent " conclut Leila en riant.
A la fin de cette manifestation, c'est un sentiment étrange qui m'envahit ! Après avoir écouter, ces femmes, les avoir laissées s'exprimer sur des tas de sujets, je me demandais subitement, si tous ces propos parfois violents, agressifs ne dissimulaient pas autre chose, un mal-être, une révolte profonde qui dépassaient largement le problème du port du voile à l'école.
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